La proposition du FN de recourir à la Banque de France pour financer notre dette pénaliserait les Français les plus modestes*

(*Article paru dans le journal Le Monde (24 février 2017))

En écho à une vision populaire de marchés qui prêteraient aux États en retour du versement de copieux intérêts, le Front national propose de : « Sortir de la dépendance aux marchés financiers en autorisant à nouveau le financement direct du Trésor par la Banque de France ». Une mauvaise solution, à un problème qui n’en est pas un.

Un faux problème
La vision selon laquelle les marchés vampiriseraient l’État ne résiste pas à la confrontation aux faits. La France s’est financée à presque 0 % sur les marchés en 2016. Depuis l’automne 2014, l’État français emprunte même à taux négatif pour les durées inférieures à cinq ans. Dans un climat d’incertitude économique, les marchés achètent à la France la garantie de retrouver leurs fonds à échéance, au même titre qu’un richissime particulier paie pour déposer ses bijoux dans un coffre‐fort plutôt que de les conserver gratuitement à domicile.

La volonté du FN de sonner le glas de l’indépendance de la banque centrale trouve son origine dans une interprétation biaisée de l’évolution de la finance mondiale. Le puissant cartel des banques serait à l’origine d’un tour de force historique. Celui‐ci a consisté à persuader les États‐Unis de mettre sur pieds une banque centrale indépendante en 1913, avant de convaincre les États d’autres zones monétaires, comme la France en 1973 ou l’Union européenne par le traité de Maastricht en 1993, de ne plus pouvoir emprunter sans intérêt à leurs banques centrales, mais d’être dans l’obligation de s’endetter auprès des marchés financiers privés. Cette vision a peut‐être le mérite d’être historiquement documentée, mais elle témoigne d’une méconnaissance du mécanisme de création monétaire.

La raison pour laquelle des banques centrales indépendantes ont été mises sur pieds est que les gouvernements ne sont pas toujours les plus aptes à conduire la politique monétaire. La tentation de financer gratuitement les dépenses publiques par émission excessive de monnaie est forte. Le Vénézuéla y cède depuis deux ans. Résultat : l’inflation y fait des ravages, le coût du panier moyen du consommateur a doublé en 2015, et a encore plus que quadruplé en 2016. Le pays est aujourd’hui au bord du gouffre.

Ce possible manque de discipline des gouvernements n’est pas nouveau. Il est identifié depuis au moins deux siècles. En 1817, David Ricardo, l’un des économistes les plus influents de l’école classique écrivait : « L’expérience prouve […] que toutes les fois qu’un gouvernement ou une banque a eu la faculté illimitée d’émettre du papier‐monnaie, ils en ont toujours abusé. »

Une mauvaise solution
Appliquer la 43e proposition du programme présidentiel du FN reviendrait donc à exposer l’État aux fruits de la tentation. Celle de recourir à une politique monétaire laxiste pour alléger la dette nationale. Ou encore de financer le salaire des fonctionnaires, et l’ensemble des dépenses publiques, à l’aide de la planche à billets. Dans un cas comme dans l’autre, la pratique est source d’inflation. Car les prix sont mécaniquement gonflés par l’accroissement du volume de monnaie en circulation. L’inflation est alors d’autant plus forte que l’augmentation de la masse monétaire surpasse celle de l’activité économique.

Érosion du pouvoir d’achat et creusement des inégalités
Lorsque l’appréciation du niveau général des prix ne s’accompagne pas d’une hausse de salaire ou de pension dans les mêmes proportions, l’inflation érode le pouvoir d’achat. Or toutes les catégories sociales ne sont pas également protégées contre cette dégradation. L’inflation est particulièrement préjudiciable aux classes les plus démunies. Une des raisons est qu’elles sont dépourvues de l’arsenal d’outils financiers à la portée des riches, qui permettent de se couvrir contre des variations de prix. Dans le pire des cas, l’inflation creuse les inégalités au point de mettre en péril la cohésion sociale. Comme en 2011, où elle a participé à pousser les populations égyptienne et tunisienne dans la rue pour amorcer leurs révolutions.

Ne noircissons pas le tableau. En France, nous n’en arriverions peut-être pas là. Toutefois, il faut prendre conscience que, même appliquée dans de moindres proportions, la recette du FN serait néfaste aux franges de la population les plus modestes.

Comme souvent, la proposition du FN fait écho à un ressenti populaire. En ce qui nous concerne, il s’agit d’un fantasme. Le Trésor public fait actuellement une très bonne affaire avec les marchés financiers.

Le rôle d’une banque centrale est de veiller à ce que le volume de monnaie corresponde au plus juste à celui de l’activité économique. L’accroissement de la masse monétaire peut financer la dette pour soutenir des projets qui stimulent la croissance. Il ne doit pas être utilisé pour payer les dépenses de fonctionnement de l’État, au risque sinon d’accélérer l’inflation. Annuler l’indépendance de l’autorité monétaire à des fins électorales de court terme pourrait avoir de lourdes conséquences pour l’avenir de notre pays.