La dictature de l’argent s’est-elle accrue au cours du temps ? Non. Ce serait même plutôt l’inverse.
L’activité moderne des marchés exprime pour certains une dérive de la toute puissance de l’argent qui permettrait, aujourd’hui plus que jamais, de tout acheter. Il est indéniable que l’argent exerce une forme de dictature dans nos sociétés contemporaines. L’Histoire nous enseigne toutefois que cette tyrannie était autrefois bien pire encore.
De l’Antiquité au XIXe siècle, les civilisations hégémoniques pratiquaient le commerce des esclaves. De nombreux peuples dont, à tour de rôle, les Babyloniens, les Égyptiens, les Grecs, les Romains, les Arabo-musulmans, les Ottomans, les Européens puis les États-Uniens se sont livrés à la mise aux enchères de corps humains dans des conditions abominables. Bien que l’on trouve encore aujourd’hui des esclaves dans certains pays comme la Mauritanie, l’Ouzbékistan et l’Arabie saoudite, nos démocraties modernes en sont exemptes. Au contraire, et c’est un fait récent à l’échelle de l’humanité : notre société confère à la vie humaine une valeur inaliénable.
L’histoire des religions nous fournit un autre exemple de transaction monétaire ayant disparu au cours du temps. Le recours à l’argent est à l’origine du schisme entre catholiques et protestants, qui au XVIe siècle changea le cours de la civilisation occidentale. Choqué par la vente des indulgences, que les papes Jules II et Leon X déploient sans retenue pour financer la construction de la basilique Saint-Pierre du Vatican, Martin Luther amorce la Réforme protestante. En 1517, il dénonce publiquement ce procédé marchand qui permettrait de gagner le paradis : « Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui prétendent qu’aussitôt que l’argent résonne dans leur caisse, l’âme s’envole du purgatoire. »
Nous pourrions multiplier les exemples historiques d’un recours à l’argent jugé abusif ou immoral à l’aune de nos valeurs contemporaines. La caractéristique de nos démocraties modernes tient justement en leurs capacités à exclure l’argent de certains champs d’activité. Notamment ceux exercés par les fonctionnaires (policiers, magistrats, percepteur des impôts, inspecteur du travail…) dont on exige qu’ils soient incorruptibles. Ce chantier de lutte contre la vénalité des services reste d’actualité dans encore bien des endroits du globe. Comme par exemple en Afrique, où quiconque ayant parcouru le continent peut témoigner combien il est possible de s’affranchir des règles en vigueur en l’échange d’un bakchich. La « démonétisation » de certaines pratiques est partout vécue comme une avancée allant dans le sens de l’Histoire, non comme un recul.
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