La spéculation a, aujourd’hui en France, très mauvaise réputation. Ce ne fut pas toujours le cas…
« La spéculation est, à proprement parler, le génie de la découverte. » Pierre-Joseph Proudhon, Manuel du spéculateur à la Bourse, 1852
Non, vous ne rêvez pas. Cette phrase en exergue a bien été rédigée par l’auteur anarchiste de la célèbre formule : « La propriété, c’est le vol ! ». Celui qui, par ailleurs, prônait le prêt à taux zéro et l’abolition du salariat et du profit. Explication.
Dans son ouvrage publié au milieu du XIXe siècle, Proudhon décortique le rôle de chaque corps de métiers dans l’activité économique[1]. Le travailleur a besoin de l’industriel qui engage son expertise et sa fortune dans une entreprise. Ce dernier est redevable au capitaliste qui fournit les fonds pour l’achat des machines. Le banquier, quant à lui, contrôle la solvabilité des commerçants et des fabricants, tout en facilitant la circulation des billets de l’épargne vers la production. Proudhon constate avec émerveillement que la spéculation oriente les fonds vers là où ils sont les mieux rémunérés, et fait preuve d’une imagination sans bornes pour économiser les coûts de toute sorte (transports, crédits, échange).
Son enthousiasme pour la spéculation trouve son origine dans l’effet de redistribution dont elle est capable. Il évoque la mésaventure de John Law, le ministre des finances du royaume de France en 1720, connu pour avoir introduit le billet de banque, à une époque où il y avait un véritable besoin d’accroitre les moyens et la souplesse du paiement. Law est également le fondateur de l’une des premières sociétés cotées à la Bourse de Paris. Il s’agit de la Compagnie d’Occident, qui rassemble l’activité exercée par la France auprès de divers comptoirs coloniaux (Mississippi, Indes orientales, Sénégal et Chine). Le prix des actions du groupe de Law fut multiplié par quarante sous l’effet de l’attaque spéculative de ses ennemis, dont le duc de Bourbon et le prince de Conti. Certains des plus gros possesseurs de billets commencèrent alors à réclamer leurs avoirs en pièces d’or et d’argent, ce qui fit s’écrouler la confiance dans le système fondé par Law. Cette chute appauvrit ou ruina environ 10 % de la population française, principalement les riches actionnaires.
Proudhon note avec exaltation :
« Le désastre de 1720-21 ne fut pas sans compensation : un déplacement énorme de capitaux avait eu lieu ; tandis qu’une noblesse dépravée engloutissait dans ses portefeuilles les actions du Mississippi, son or et ses biens passaient aux mains des roturiers et allaient donner à l’industrie, à l’agriculture et au commerce un surcroit de fécondité. »[2]
Inutile de préciser combien l’engouement de Proudhon à l’endroit des spéculateurs est complètement retombé un siècle et demi plus tard.
[1] Pierre-Joseph Proudhon, Manuel du spéculateur à la Bourse, 1852 (cf. page 4)
[2] Idem (cf. page 8)
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