Le système bancaire nous agrée quand il facilite et sécurise nos moyens de paiements. Il nous insulte lorsque l’on découvre son implication dans les paradis fiscaux.
L’affaire des « Panama Papers », publiée par la presse internationale au printemps 2016, révèle au monde entier le nom de milliardaires, de sportifs de haut niveau et de célébrités ayant recouru à des montages offshore pour se dérober au financement collectif de nos écoles, de nos hôpitaux, de nos infrastructures, de notre justice et autres services publics.
De manière encore plus préoccupante, des membres du gouvernement de nombreux pays sont également pris la main dans le sac. Certains d’entre eux occupent des postes au plus haut niveau de l’État (comme le président de l’Argentine, de l’Ukraine, et des Émirats arabes unis, ainsi que le Premier ministre de l’Islande, du Pakistan et de l’Irak). Avec un tel conflit d’intérêts, il est tout bonnement impossible de satisfaire l’attente des populations quant à la lutte contre les paradis fiscaux.
Selon les estimations de l’OCDE, l’évasion fiscale annuelle s’élève à 11 % du PIB mondial. En France, la perte de recettes fiscale est équivalente au budget de l’Éducation nationale, soit le premier poste de dépense de l’État.
Que sont les paradis fiscaux ? La définition des États concernés porte généralement sur plusieurs points.
D’une part, l’application de très faibles taux d’imposition, et la garantie d’un secret bancaire absolue sur les transactions et l’identité des propriétaires de compte. C’est ce qui attire tant d’ultra-riches et d’entreprises animés par la volonté de se soustraire clandestinement à la fiscalité de leur nation.
En résulte un décrochage entre l’écriture strictement comptable et l’économie réelle du paradis fiscal. Comme au Luxembourg, où seuls 8 % des investissements enregistrés soutiennent une activité domestique[1].
D’autre part, certains de ces territoires ont des lois ultras permissives qui rendent à peu près tout possible. Cette caractéristique attire des personnalités sous le coup de sanctions internationales, ainsi que le crime organisé et les mafias désireuses de blanchir l’argent sale tiré de leur activité criminelle (corruption, trafics de drogue, d’armes et d’esclaves).
Où sont les paradis fiscaux ? On dénombre plusieurs dizaines de paradis fiscaux à travers le monde. La plupart d’entre eux sont des pays des Caraïbes relevant de la couronne britannique, comme les Bahamas et les Bermudes. En Europe, il s’agit de nation de petite taille, comme le Luxembourg, le Liechtenstein ou Monaco, mais pas exclusivement, puisque figurent aussi la Suisse et, suivant la définition que l’on retient, également la Belgique, les Pays-Bas et l’Autriche.
Quel est le rôle des banques ? Les banques jouent un rôle de premier plan dans les paradis fiscaux. L’opinion publique en a conscience. Partout en France où les manifestations contre la loi visant à réformer le Code du travail ont dégénéré au printemps 2016, les agences bancaires ont été les premières cibles. Vitrines fracassées, distributeurs vandalisés, murs repeints de couleurs vives, façades recouvertes des tags : « stop à la fraude fiscale », « coupable », « paradis fiscaux », « bienvenue au Panama », etc.
Nos établissements bancaires sont concernés pour plusieurs raisons par les paradis fiscaux.
D’une part, comme beaucoup de multinationales, nos banques pratiquent l’évasion fiscale. Prenons le cas de la plus grande banque française, qui est aussi la plus grande banque européenne : BNP Paribas. Le groupe réalise 20 % de son chiffre d’affaires, et 28 % de ses bénéfices avant impôt, dans les paradis fiscaux[2]. Ses bénéfices sont taxés en moyenne à hauteur de 48 % en France, et à seulement 19 % dans les paradis fiscaux. On voit donc les incitations malsaines auxquelles la banque cède lorsqu’elle opte pour l’évasion : là où l’État français lui retire la moitié de ses bénéfices au titre du financement de nos services publics, les paradis fiscaux ne lui en prélèvent qu’un cinquième. Et il s’agit ici d’une moyenne. Le taux d’imposition varie de 33 % en Belgique, à moins de 1 % à Jersey, en passant par des taux intermédiaires comme 22 % au Luxembourg ou 12 % en Irlande.
Sur ce premier point, nous pouvons conclure que BNP Paribas joue bien la carte des paradis fiscaux pour alléger son ardoise fiscale. Mais nous pouvons aussi observer que, contrairement à d’autres multinationales comme IKEA, Google, Apple et Amazon, elle n’en fait pas non plus sa priorité absolue. Si l’on retire la Belgique de notre liste de paradis fiscaux, au motif que BNP Paribas y exerce tout de même une activité de banque de détail, soutenue par plus de 16 000 employés, la part de son chiffre d’affaires dans les paradis fiscaux tombe à 9 %.
D’autre part, et de manière encore plus condamnable, nos banques organisent la création de sociétés et de comptes bancaires offshores. Ce sont elles qui transportent vers les paradis fiscaux, les valises comptables de grands groupes industriels et de riches particuliers frappés de cupidité.
Il est difficile d’évaluer précisément le rôle joué par chaque établissement dans ce domaine. Nous pouvons toutefois noter que la loi de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013 nous a fait faire un bond de géant en matière d’information devant être rendue publique. C’est à elle que nous devons la connaissance des chiffres précédemment cités. Ils nous permettent également d’affirmer que BNP Paribas abrite dans les paradis fiscaux la moitié de ces filiales spécialisées dans la gestion de fortune.
Pour le reste, c’est plus compliqué. Le scandale des « Panama Papers », qui constitue la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias, nous a appris que, rien qu’au Panama, la BNP a administré pas moins de 468 structures offshores[3]. Elle ne dispose aujourd’hui plus que de six entités actives, mais est soupçonnée de sous-traiter cet exercice à d’autres compagnies. Dans le cadre de notre nouvelle loi, BNP Paribas déclare avoir sept filiales aux îles Caïmans. Mais sans aucun salarié. Selon elle, ces filiales sont entièrement gérées depuis l’étranger. De toute évidence, il s’agit d’un pur jeu d’écriture comptable, qui permet d’offrir à sa clientèle des positions offshore et des instruments financiers, comme les « fonds commun de titrisation » propices à l’évasion fiscale et à l’endettement démesuré sans que cela apparaisse dans le bilan de l’entreprise intéressée par ce type de schéma.
Enfin, et de manière encore plus préoccupante, les paradis fiscaux sont aussi pour la plupart, des paradis règlementaires qui permettent de contourner la régulation bancaire, ce qui fait courir un risque immense au système financier international, comme expliqué ici.
[1] Voir le rapport de la CN– USED (2014) : « World Investment Report », encadré p.3.
[2] Voir les données accompagnant le rapport « En quête de Transparence, Sur la Piste des banques françaises dans les paradis fiscaux », CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France et le Secours catholique, mars 2016.
[3] Voir l’article du journal Le Monde : « “Panama papers” : le business offshore du Crédit Agricole et de la BNP », publié le 11 mai 2016.
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