Notre système de retraite actuel empêche indirectement des millions de chômeurs de retrouver un emploi*

(*Article paru dans le journal Le Monde (18 janvier 2023))

Le financement actuel des retraites enchérit le coût du travail au point d’empêcher des millions de chômeurs d’occuper un emploi. Une solution existe, mais est ignorée par la réforme d’un gouvernement soucieux de son électorat.

Notre pays affronte une évolution démographique qui défie notre système de retraite. Les retraités représentent aujourd’hui un quart de la population, contre seulement 5 % en 1960, 10 % en 1985, 15 % en 1995, et 20 % en 2013. Par ailleurs, les années de vie à la retraite se sont prolongées de neuf ans en un demi-siècle, au point qu’en France la durée espérée de retraite est d’environ 26 ans, contre 20 ans en moyenne dans les autres pays européens.

Ce double défi démographique (boom du nombre de séniors et allongement de la durée de retraite) bouleverse sans surprise l’équilibre financier de notre système. La question est de savoir si les recettes (cotisations, impôts et autres contributions fiscales) permettent de couvrir les dépenses (versement des pensions de retraite). Pour convaincre de l’utilité de sa réforme, le gouvernement promet l’équilibre financier à horizon 2030. Les opposants (syndicats et groupes parlementaires de gauche) estiment a contrario que le déséquilibre n’est pas suffisant pour justifier un recul de l’âge de départ à la retraite à taux plein.

Au-delà de cette question de comptabilité macroéconomique se pose un problème de fond que personne n’aborde. À savoir que notre système de retraite actuel empêche indirectement des millions de chômeurs de retrouver un emploi. Car les pensions de retraite sont aujourd’hui financées pour plus de deux tiers par les actifs. Or les cotisations patronales et salariales gonflent considérablement le coût du travail. Un serveur de café qui gagne par exemple 1 600 € net par mois coûte 3 200 € à son patron, soit le double. Cet écart abyssal entre ce que coûte le travail à l’employeur et ce qu’il rapporte à l’employé explique en partie la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs où les rémunérations ne sont pas perçues comme suffisamment attractives (comme la restauration où 200 000 postes seraient à pourvoir).

Une bonne partie de cet écart provient des sommes ponctionnées par les caisses de retraite. Ainsi, un professeur des écoles avec 5 ans d’ancienneté (dont le salaire net est de 1 750 €) verse l’équivalent de son salaire net au seul financement des retraites. Ce ratio est même supérieur pour un professeur certifié hors classe en fin de carrière (dont le salaire net est de 2 900 €) puisqu’il procure chaque mois plus de 3 000 € aux caisses de retraite.

Ce phénomène est en constante aggravation. Car tandis que la proportion de retraités dans la population française a quintuplé depuis 1950, celle en activité est restée la même (près de 43 %). Si bien qu’à l’époque, la charge de chaque retraite était répartie sur les épaules de 5 cotisants. Ce ratio cotisants-retraités n’était déjà plus que de 2 il y a vingt ans. Aujourd’hui, il est tombé à 1,6. En 2050, il ne sera plus que de 1,2. C’est-à-dire que 6 actifs devront financer la pension de 5 retraités.

Deux voies complémentaires permettent de réduire l’incidence pernicieuse du financement de nos retraites. La première est d’augmenter la durée de cotisation. C’est ce que propose actuellement le gouvernement en reportant l’âge légal de départ à la retraite et, dans une moindre mesure, en rendant plus attractif le cumul emploi-retraite.

La seconde est d’alléger le poids qui pèse sur les épaules des actifs en mettant davantage à contribution les autres types de revenus (patrimoine, placement, retraite…). Les prélèvements sociaux (CSG, CRDS, solidarité…) sont par exemple de 17,2 % sur les revenus du patrimoine et les produits de placements (composante majeure de la « flat tax » à 30 %), et moitié moindre sur les retraites (de 4,3 % à 9,1 % selon le revenu fiscal de référence).

Cette seconde solution est appliquée graduellement, par petite touche, depuis la mise en place de la CSG par le gouvernement Rocard en 1991. Initialement introduite à un taux de 1,1 % sur tout type de revenu (activité, retraite, chômage, patrimoine et placement), elle a été rehaussée au fil des ans et des gouvernements, mais de manière hétérogène suivant les catégories. Pour alléger le fardeau des actifs, il aurait fallu qu’elle progresse moins vite pour les revenus d’activité. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit. Aujourd’hui, la CSG ponctionne davantage les salaires (9,2 %) que les pensions de retraite (de 0 % à 8,3 %). Cela même si, contrairement aux pensions, les salaires sont par ailleurs mis amplement à contribution au travers des cotisations salariales et patronales. Bizarrement, la réforme proposée par le gouvernement ferme les yeux sur cette hérésie et n’apporte aucune correction à ce sujet.

Nous pourrions créer un cercle vertueux en diminuant le poids du financement des retraites qui pèse tant sur les actifs, de sorte à réduire l’écart entre ce que rapporte le travail à l’employé (salaire net) et ce qu’il coûte à l’employeur (salaire super-brut). La hausse du salaire net rendrait plus attrayantes des centaines de milliers d’offres d’emploi aujourd’hui non pourvues (aide-soignant, ambulancier, auxiliaire de vie, chauffagiste, chaudronnier, infirmier, informaticien, maître d’hôtel, plombier, serveur, soudeur, tôlier…). La baisse du coût du travail encouragerait, quant à elle, les employeurs à embaucher dans les secteurs où il est particulièrement difficile de trouver un emploi (commerce, communication, secrétariat, textile, vente…). La rétroaction positive viendrait du fait que l’augmentation massive du nombre de personnes en emploi répartirait la charge du financement des retraites sur les épaules de plus d’actifs, ce qui à son tour permettrait d’alléger les cotisations et donc de réduire une nouvelle fois l’écart entre salaire net et salaire super-brut.

Pourquoi ne pas financer une baisse de CSG sur les salaires (et autres revenus d’activité) par un doublement de la CSG sur les pensions les plus élevées ? Il semble injuste que la réforme portée par le gouvernement exonère les retraités de tout effort. Surtout dans un contexte où ils bénéficient par ailleurs de l’indexation de leurs pensions sur l’inflation (5,1 % de revalorisation en 2022).

Sans doute le chef de l’État se préoccupe-t-il du vieillissement de son électorat. Il avait d’ailleurs annulé la hausse de CSG sur certaines retraites lorsque des séniors avaient rejoint le mouvement des gilets jaunes en 2018. Ce choix politique d’une réforme qui n’intègre pas la deuxième voie énoncée nous fait rater une formidable opportunité de revigorer l’emploi en France. Cela tout en rendant le partage du financement des retraites plus équitable au sein de la population (entre actifs et retraités, mais aussi entre séniors) à l’aide d’un taux de CSG moindre sur les salaires et plus progressif sur les pensions.