(*Article paru dans le journal Le Monde (14 février 2018), co-écrit avec Zahreddine Touag)
L’attentisme français en matière de régulation financière des crypto monnaies fait subir à notre pays une perte de compétitivité sur l’innovation dans les registres distribués (dont la blockchain) et expose le petit porteur à un manque de sécurisation de ses actifs digitaux comme le bitcoin.
Les cryptomonnaies sont considérées par le ministère de l’Économie comme un moyen de paiement. Bercy vient d’annoncer (mardi 16 janvier) la création d’une mission ayant pour but de proposer des orientations de réglementation visant à empêcher leur utilisation à des fins d’évasion fiscale, de blanchiment ou de financement d’activités criminelles ou de terrorisme. Le ministre de l’Économie demande par ailleurs à la présidence argentine du G20 qu’elle se saisisse de cette question. Cette initiative gouvernementale, qui doit être saluée tant il est urgent d’affiner la régulation des mouvements de capitaux réalisés en monnaies virtuelles, ne doit toutefois pas faire oublier qu’il est également temps de définir le statut financier des cryptomonnaies.
La France est dans les starting-blocks et n’attends qu’une clarification réglementaire sur les cryptomonnaies pour entrer de pleins pieds dans la course à la création de services liés à leurs technologies sous-jacente (la chaine de blocs, « blockchain ») et les technologies à venir (comme le hashgraph) qui ne vont pas tarder à révolutionner notre quotidien. La participation française à l’innovation mondiale requiert naturellement l’existence d’un écosystème financier hexagonale capable de stimuler le développement des entreprises avant-gardistes dans ce domaine. Or c’est là que le bât blesse actuellement puisque, du point de vue de la réglementation financière, les cryptomonnaies sont encore considérées par l’Autorité des marchés financiers comme un ovni.
L’absence d’identification de cette classe d’actifs érige une barrière derrière laquelle attendent des professionnels de la finance (banques, assurances, fonds d’investissement, courtiers…) pour offrir leurs services aux acteurs de la nouvelle technologie liée à la chaine de blocs (entrepreneurs, startups, investisseurs…). Derrière cette barrière, on trouve au premier rang des fonds d’investissement et des courtiers impatients de pouvoir répondre à une demande de leurs clients qui souhaitent acquérir des actifs digitaux. Suivi des banques dépositaires qui se proposent de conserver ces actifs de manière sécurisée. On trouve ensuite des compagnies d’assurance qui auraient en charge de garantir les dépôts.
Une fois cette levée de barrière effective, les banques françaises d’investissement ne devraient pas tarder à offrir leur service aux banques de détail et aux gestionnaires de portefeuilles, à l’instar de l’opportunité actuellement exploitée par la banque américaine Goldman Sachs. Les banques d’investissement pourront dès lors accompagner les entreprises innovantes proposant des services liés au registre distribué (comme la location décentralisée d’espace de stockage de données ou de puissance de calcul).
En attendant que cette barrière soit levée, certaines entreprises de l’hexagone, las d’escompter une clarification réglementaire nationale qui ne vient pas, cèdent aux sirènes de juridictions étrangères plus réactives dans ce champ d’activité. C’est le cas de start-up françaises parties s’installer à Gibraltar ou en Suisse dans la « Crypto Valley » du canton de Zoug, pour mener à bien leur levée de fonds en monnaies virtuelles (initial coin offering). D’autres optent actuellement pour l’Angleterre qui a mis sur pied un écosystème libéré de contraintes réglementaires et réservé aux phases de tests de nouvelles activités autour de la chaine de blocs.
Un autre problème de notre attentisme national en la matière est celui du danger auquel sont actuellement exposés les particuliers ayant investi dans des actifs digitaux comme le bitcoin. Du fait de l’absence de banques et d’assurances dans ce domaine, le petit porteur doit pour l’instant lui-même endosser le risque lié aux opérations d’achat et de conservation de ses actifs. Or celui-ci n’est pas à prendre à la légère tant les sommes en jeu et la nature cryptographique sous-jacente à ces nouvelles technologies attire de nombreux informaticiens et mathématiciens de talent parmi lesquels figurent des pirates malintentionnés.
Ainsi, nos instances de régulation financières doivent clarifier au plus vite le statut des cryptomonnaies afin d’une part de ne pas infliger à la France une perte de compétitivité sur l’innovation dans les registres distribués, et d’autre part de mettre un terme au risque encouru par le petit porteur sur le manque de sécurisation de ses actifs digitaux.
Notre pays ne doit pas céder à un attentisme qui est d’autant plus séduisant qu’il y a une absence de consensus international sur le sujet et que la qualification juridique des cryptomonnaies est complexe tant les activités liées aux nouvelles technologies sous-jacentes sont diverses et variées. Être compétitif requiert de savoir prendre les devants, quitte à rectifier le tir en cours de route. La zone euro compte sur la France ou l’Allemagne pour montrer la voie à suivre dans ce domaine.