Dette publique : l’annulation partielle envisagée par Mélenchon souffre d’un déficit de réalisme idéologique*

(*Article paru dans le journal Les Echos (21 avril 2017))

Dans sa proposition présidentielle intitulée « Refuser le chantage à la dette publique » Jean-Luc Mélenchon évoque l’idée d’une annulation partielle de la dette française. Une mesure dont la justification idéologique repose sur de fausses croyances.

Ne pas honorer une dette pose, entre autres, un problème d’ordre moral : l’emprunteur ne respecte pas ce à quoi il s’est initialement engagé. En guise de justification, les partisans du non-remboursement ont coutume d’avancer des arguments qui, valables en certaines circonstances, sont ici réfutables.

Croyance n°1 :  l’État verse des intérêts mirobolants aux marchés
Le premier argument exploite une croyance populaire selon laquelle l’État verserait aux marchés de copieux intérêts, voire serait pris dans une spirale de paiement des intérêts qui l’empêcherait de rembourser son emprunt. Cette croyance n’est pas en phase avec la réalité. Au contraire, la France s’est financée à presque 0 % sur les marchés en 2016. Depuis 2014, l’État français emprunte même à taux négatif pour les durées inférieures à cinq ans. Dans un climat d’incertitude économique, les marchés achètent à la France la garantie de retrouver leurs fonds à échéance, au même titre qu’un richissime particulier paie pour déposer ses bijoux dans un coffre‐fort plutôt que de les conserver gratuitement à domicile.

Croyance n°2 : ne pas rembourser la dette est une question de justice sociale
Le second argument repose sur la volonté d’une redistribution de la classe des nantis vers celle du prolétariat. Les créditeurs étant supposés faire partie de la première et les débiteurs de la seconde, le non-remboursement relèverait de la justice sociale. Cette vision empreinte d’une idéologie de lutte des classes ne résiste pourtant pas à la réalité de notre siècle. Notre dette nationale est actuellement détenue pour 60 % par des non-résidents. Au premier rang, on trouve des investisseurs institutionnels, dont les fonds de pension des pays ayant adopté un système de retraite obligatoire par capitalisation. C’est-à-dire un mode de financement des pensions qui offre l’avantage de protéger contre les tensions démographiques (auxquelles notre système par répartition est désormais gravement exposé), mais qui a le défaut de risquer le capital investi sur les marchés. Or outre-Atlantique, ce risque devient anxiogène. La retraite de près de 300 000 camionneurs américains est aujourd’hui menacée. Leur fonds de pension, le Central States Pension Fund, serait insolvable d’ici moins de dix ans. Il n’est pas le seul. L’une des principales sociétés d’assurance de fonds de pension américain, la Pension Benefit Guaranty Corporation, serait elle-même dans l’incapacité d’honorer ses engagements d’ici une à deux décennies, laissant plus d’un million de bénéficiaires (dont de nombreux ouvriers du secteur de l’acier) sans retraite. Ne pas rembourser la totalité de notre dette publique aurait donc pour conséquence de priver de leur retraite des travailleurs précaires d’autres pays. Les retraités français ne seraient pas à l’abri pour autant. La moitié de la dette détenue par des résidents est financée par leurs placements d’assurance-vie.

Croyance n°3 :  la crise de la dette résulte de la crise des « subprimes »
Le troisième argument tient à la crise des subprimes qui a nécessité un plan de relance budgétaire. Il est vrai que la crise financière a amplifié la crise de la dette. Mais, faut-il le rappeler, elle ne l’a pas créée. Antérieurement à celle-ci, la France ne respectait déjà plus les critères de Maastricht, d’un déficit annuel et d’une dette limités respectivement à 3 % et 60 % du PIB. La crise de la dette, commune à de nombreux pays, résulte en partie d’un biais démocratique par lequel les gouvernements sont encouragés à recourir à la dette afin de ne pas alourdir l’impôt courant, si impopulaire aux yeux des électeurs. Un défaut sur la dette ne ferait que renforcer ce biais.

Croyance n°4 : annuler la dette aujourd’hui allègera le fardeau pesant sur les générations futures
Le quatrième argument se préoccupe du fardeau de la dette léguée aux générations futures, et qu’il conviendrait d’alléger. Sur ce point, le remède proposé peut s’avérer pire que le mal. Car en cas de défaut, même partiel, les conditions futures d’accès au crédit ne seront naturellement pas les mêmes : les taux d’intérêt exigés, qui englobent une prime de risque, considèrent avec sérieux la réputation de l’emprunteur. Ainsi, du simple fait de la récente montée de Mélenchon dans les sondages, le taux auquel la France emprunte sur 10 ans marque actuellement une légère hausse. Cela malgré que le candidat conteste cet évènement. De manière plus pernicieuse, un défaut de paiement révèle des informations négatives sur le gouvernement et les fondamentaux de l’économie. Les investisseurs étrangers seraient alors encouragés à retirer leurs billes de l’Hexagone. Au contraire d’alléger le poids du cadeau livré aux générations futures, faire défaut sur notre dette pourrait bien y ajouter du poison.

Le candidat de la France insoumise exploite les croyances populaires. Une partie de l’opinion publique est convaincue qu’une annulation de la dette nationale opérerait à une redistribution des riches vers les pauvres, et permettrait de sortir de la spirale infernale par laquelle l’État rembourse les intérêts de son emprunt, mais jamais le principal. Ces croyances sont fausses. L’annulation d’une partie de notre dette rognerait la retraite de nombreux travailleurs, de France et d’ailleurs, et engagerait le pays le long d’un sentier qui desservirait les générations futures.