(*Article paru sur le site du think tank BSI economics (12 décembre 2019) (PDF)
La consultation citoyenne lancée par le gouvernement sur les retraites invite les Français à s’exprimer sur la refonte d’un des piliers de leur modèle social. Creusement alarmant du déficit du régime de retraite pour les uns, manoeuvre gouvernementale pour mener à un système par capitalisation pour les autres, nombre de citoyens débattent d’ores et déjà avec passion, sans toujours avoir à l’esprit les profondes mutations qui marquent la société française depuis plusieurs décennies. Retour sur quatre de ces récentes évolutions …
Explosion du nombre de retraités
Sur le plan des retraites, la France d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celle d’il y a quelques décennies. En 2019, la métropole compte plus de 14 millions de bénéficiaires de pensions de retraite du régime général (le nombre de retraités de droit direct (cotisants) ou dérivé (conjoints) en France et à l’étranger s’élève à 17,2 millions). Les retraités sont ainsi deux fois plus nombreux qu’en 1989, quatre fois plus qu’en 1972, et six fois plus qu’en 1960 [1]. Dans la France des années soixante, un Français sur vingt était à la retraite, contre un sur quatre actuellement.
Cette évolution démographique vertigineuse est dépeinte par la Figure 1, où l’on voit qu’en métropole si la proportion de la population en activité est globalement restée la même, la proportion de retraités a explosé : passant de 5 % en 1960 à 22 % aujourd’hui.
En conséquence, l’effort de financement du régime des retraites qui pèse sur les épaules des actifs est à un sommet historique. Le ratio cotisants-retraités, qui rapporte le nombre d’actifs finançant les retraites au nombre de retraités, est l’un des plus déséquilibré au monde : 1,7 personne en emploi seulement pour 1 retraité de droit direct (tous régimes confondus) [2].
On projette que ce ratio cotisant-retraité continue de se dégrader pour atteindre 1,5 actif cotisant par retraité en 2040. Contrairement aux idées reçues, cette situation ne résulte pas uniquement du papy-boom. Puisqu’en 2070, soit une date postérieure aux retraites versées à la génération du baby-boom, le nombre de cotisants par retraité devrait tomber à 1,3. La France est certes le pays où le pic de natalité enregistré au lendemain de la Seconde Guerre mondiale a été le plus élevé d’Europe, mais le baby-boom a été encore plus vigoureux aux États-Unis. Or ce pays compte actuellement 3 actifs en emploi par retraité. Avec un tel ratio, la charge qui pèserait sur les épaules des actifs français serait presque deux fois moins lourde. Parmi les causes à l’origine de cet écart, dont l’immigration et le chômage (8,6% en France contre 3,6% aux États-Unis), on remarque que les Français bénéficient d’une espérance de vie à 60 ans qui excède de plus de deux ans celle des Américains, mais partent à la retraite six ans plus tôt.
Allongement de la durée de retraite
Non seulement le nombre de retraités explose, mais les retraites sont aujourd’hui beaucoup plus longues. Car l’espérance de vie des séniors augmente rapidement tandis que l’âge de départ à la retraite stagne. En 1968, les Français partaient à la retraite à 64 ans [3]. À cette époque l’espérance de vie à 60 ans était de 16 ans pour les hommes et 20 ans pour les femmes [4]. Aujourd’hui les Français prennent dans l’ensemble leur retraite deux ans plus tôt (l’âge minimum de départ est fixé à 62 ans et l’âge effectif se situe à 61,7 ans du fait des dispositifs de retraite anticipée), et l’espérance de vie à 60 ans a progressé de sept ans (pour les hommes comme pour les femmes) [5].
Le fait que les années de vie à la retraite se sont allongées de neuf ans en un demi-siècle est une excellente nouvelle. La France détiendrait ainsi le record du temps passé à la retraite des pays développés [6]. D’une durée espérée de 25 ans environ pour les nouveaux retraités, celui-ci excède en moyenne de cinq ans celui des autres pays de l’OCDE, et de six ans celui des autres pays européens.
Alourdissement de la contribution des actifs
Comme on peut s’y attendre, le coût de ce système pèse de manière préoccupante sur les épaules des actifs. Les cotisations sociales destinées au financement des retraites renchérissent le coût du travail et pèsent sur le chômage dans des proportions qui placent la France dans le petit groupe des pays européens qui n’ont toujours pas retrouvé le dynamisme de l’emploi d’avant crise (comme la Grèce, l’Espagne et l’Italie. Les charges sociales rognent par ailleurs le pouvoir d’achat des actifs de manière autrement plus conséquente que ne le font d’autres prélèvements obligatoires (TVA, CSG, impôt sur le revenu…).
Un salarié au Smic verse ainsi l’équivalent d’un quart de son salaire complet (salaire net augmenté des cotisations salariales et patronales) en charges sociales. Cette proportion grimpe rapidement avec l’échelle de salaire. Un professeur des écoles avec 5 ans d’ancienneté (dont le salaire net est de 1 750 €) verse l’équivalent de son salaire net au seul financement des retraites. Un professeur certifié hors classe en fin de carrière (dont le salaire net est de 2 900 €) verse chaque mois plus de 3 000 aux caisses de retraite [7].
Amélioration du niveau de vie des retraités
Les retraites actuelles offrent par ailleurs des niveaux de vie plus confortables que par le passé. Dans les années 1970, plus les gens étaient âgés et plus ils étaient exposés à la pauvreté. Ce phénomène est illustré par la Figure 2 qui met en rapport la part de la population française considérée comme pauvre en fonction de son âge. La courbe (hachurée) de 1970 dépeint la réalité monstrueuse de l’époque : environ 40 % des septuagénaires étaient pauvres. Leur sort s’est considérablement amélioré depuis, puisqu’ils sont moins de 10 % en 2016 comme l’indique la seconde courbe (en trait plein).
Notre système actuel est hérité des préoccupations de cette époque où il était urgent de renforcer la solidarité entre générations. Cette solidarité a depuis pris une tournure inattendue. Le niveau de vie des retraités n’a pas que rattrapé celui des actifs, il l’a dépassé (de 6 à 7 %). Aujourd’hui, moins de 8 % des septuagénaires sont pauvres contre plus de 20 % des 20-25 ans dont le taux de chômage a quintuplé (passant de moins de 4 % en 1970 à plus de 20 % aujourd’hui). Trois quarts des retraités sont propriétaires de leur résidence principale contre moins de la moitié des non-retraités. Ils ont acheté meilleur marché et ont déjà remboursé leur crédit. Si bien que leur patrimoine est supérieur et progresse plus rapidement que celui du reste de la population.
De nombreux foyers de jeunes retraités disposent de deux pensions honorables. Ce qui était peu courant du temps où l’accès des femmes au marché du travail était restreint.
Tous les séniors ne sont pas riches pour autant. Le minimum vieillesse (un dispositif de solidarité qui atteindra 900 euros en 2020, soit 79 % du seuil de pauvreté) bénéficie tout de même à plus d’un demi-million des 17,2 millions de retraités de droit direct ou dérivé.
Conclusion
Notre système par répartition est d’ores et déjà édulcoré au point que les cotisations salariales et patronales ne financent plus que deux tiers des retraites. Le tiers restant, ainsi que le Fonds de solidarité vieillesse, sont financés par la CSG et d’autres impôts divers. La charge du contribuable est en constante augmentation et, de manière légitime, nombre de citoyens sont sensibles à la refonte d’un système de retraite qui absorbe plus d’un quart des dépenses publiques annuelles, soit plus que l’assurance-maladie et plus de quatre fois le budget régalien (défense, sécurité, justice) [8].
Pour ou contre la réforme proposée par le gouvernement actuel, chacun doit pouvoir s’exprimer. Mais il serait bon de le faire en connaissance de ces récentes mutations que sont l’explosion du nombre de retraités, l’allongement de la durée de retraite, l’alourdissement de la contribution des actifs et l’amélioration du niveau de vie des séniors.
Références
[1] Source : Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV sécurité sociale). Évolution du nombre de retraités en métropole par caisse de paiements (1960-2018).
[2] Rapport annuel du Conseil d’Orientation des Retraites : « Évolutions et perspectives des retraites en France » Juin 2017. Voir la Figure 2.2b « Rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités », p.60.
[3] Secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (2019) : « Évolution historique et projetée de l’âge de départ à la retraite », Document de travail N° 4.
[4] Aline Désesquelles (2011): « Le vieillissement démographique en France : situation actuelle, tendances et comparaison avec quelques voisins Européens », INED
[5] Secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (2019) : « Les évolutions récentes de l’espérance de vie en France » Document de travail n° 9.
[6] Secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites (2019) : « Panorama international des âges effectifs de départ à la retraite », Document de travail n° 11, Figure 4. « Durée moyenne espérée de retraite », p.6 ; et OCDE (2018) : « Panorama des pensions 2017 ». Graphique 1.6. « Âge effectif moyen de sortie du marché du travail selon le pays », p.4.
[7] Les salaires nets sont ici exprimés avant impôt sur le revenu. Selon le barème de l’Éducation nationale, un professeur hors classe de 5e échelon (indice de rémunération 756) perçoit 2 872 € de salaire net avant impôt sur le revenu. Ses cotisations retraite sont de 3 014 € (383 € de cotisation salariale retraite et 2 631 € de cotisation patronale retraite).
[8] Eurostat, calculs de la direction générale du Trésor (2019) : « La fiscalité et les dépenses publiques », fiche de synthèse rédigée à l’occasion du grand débat national.